Récit d’une traversée entre Nieuwpoort (Belgique) et Inverness (Ecosse)
Samedi après-midi de début d’été. Il fait chaud. Les voiliers sont sortis par centaines du plus grand port de plaisance belge. Ils barbotent devant l’estacade. Certains font des régates autour de trois bouées, ravis de jouer avec une brise thermique plus soutenue que prévu.
Papa Charlie file au nord-ouest, tourner autour de trois bouées ce n’est pas son truc. L’équipage savoure l’entrée en matière douce. Vers 18h on prend l’apéro. Bières sans alcool et chips. À 20h, on mange des pâtes bolognaise et puis on enchaîne avec les quarts. Stijn et Evarest assureront pendant quatre jours et quatre nuits les quarts de 20h-0h, 4h-8h et 12h-16h. Invité de dernière minute, Cédric, et moi-même on fera les autres quarts, dont le redouté minuit-quatre heures.
La nuit est courte si proche du solstice d’été. Papa Charlie croise des cargos du rail montant et descendant. Le vent tourne de nord-ouest à sud puis sud-est. Empannage direction Norwich. La vigilance est de mise entre bancs de sables, éoliennes puis plateformes pétrolières. Nous sommes à moins de 250km de la Belgique et le pétrole et gaz sont rois. On croisera des plateforme par centaines. Souvent sur notre route. Parfois les opérateurs nous interpellent à la VHF (radio) avec l’injonction de maintenir une distance de sécurité d’au moins 500 m.
Certaines plateformes ont un réseau gsm qui permettent l’envoi de quelques whatsapp et mise à jour de la météo. Cela sera utile pour comprendre notre déroute.
Le vent rentre progressivement de l’ouest pendant la journée du dimanche. La météo annonce 20 noeuds, rafales à 30 pendant 24 heures pour lundi.
La guerre et la déroute
Bien que prévenu, la météo me surprend. Pendant 24 heures le vent ne tombera pas en dessous de 26 noeuds. Souvent même établi à 28-29 noeuds. Quelques rafales au dessus de 30. Les conséquences sont énormes. Sous 2 ris et avec un génois bien roulé, Papa Charlie file à 8-9-10 noeuds. Des surfs à 12-14 et même 15 noeuds. Record battu.
Les vagues grossissent tout au long de la journée jusqu’à atteindre 5-6 m. On ferme le capot de descente pour éviter d’inonder l’intérieur du bateau. Déferlantes. Départ au lof. Le bateau tape. Mais le bateau est marin et nous ne casserons rien. Personne n’est malade même si on ne se nourrit que de biscuits, pommes et bananes.
Où est le problème me direz-vous ? Bah on file tout droit vers la Norvège. Papa Charlie n’arrive pas à remonter au vent. Au mieux on fait du 110 degrés au vent, cap au nord-est (50-60°) au lieu de faire du 320-330°. Pendant 12h on s’éloigne même de notre objectif à la pointe de Peterhead. Heureusement on a de l’eau à courir, pas de risque de se fracasser sur la côte.
Mes pensées sont noires. Ai-je mal évalué la météo ? Aurais-je pu plus nous décaler vers l’ouest à hauteur de Norwich. Et si on allait sur Stavanger en Norvège? Pas de problème pour l’équipage à bord? Mais pour les autres? Depuis Nieuwpoort on n’a pas croisé un seul voilier. On est vraiment des inconscients? Que fait-on là?
Le voilier a dérivé de plus de 100 MN (182 km) de sa route prévue.
Au près vers Fraserburgh
Après ce lundi noir, la météo s’améliore progressivement mardi. Le vent mollit et on commence à courber notre trajectoire vers l’Ouest. Papa Charlie est au près à vive allure. Cédric nous prépare à manger midi et soir. Pâtes viande légumes. Poulet semoule petit pois. Le moral remonte.
Et toujours des plateformes. Des grandes des petites. Le soir venu, l’horizon s’illumine de tous les côtés. Celles qu’on ne voyait pas de jour deviennent visibles. C’est un échec cuisant pour les britanniques. Tant de richesses pétrolières qui n’ont pas profité au pays. Les habitants du Royaume devrait avoir le niveau de vie de Norvège où des Pays-Bas, mais ils en sont tellement loin. Pourquoi?
Le vent mollit encore, tourne puis tombe mardi soir. On finit par 8h de moteur. Un bateau hydrographique nous interpelle à la VHF et nous demande de l’éviter de loin car il tire des câbles de mesure. L’opérateur a un fort accent de l’est. Russe?
Après une quatrième nuit en mer, on arrivera avec 20h de retard sur le planning espéré à Fraserburgh. Stijn me réveille alors qu’on n’est plus qu’à 2 MN du port. Ce port de pêche n’a pas de marina mais abrite une flotte de très grands bateaux de pêche. Le maître du port est trop content de nous accueillir. Papa Charlie s’amarre à un vieux bateau de pêche bleu clair. Cédric venu nous renforcer pour cette partie hardcore de la navigation file à la gare de bus, une importante réunion client l’attend en Belgique.
Le centre-ville de Fraserburgh est tout ce qu’il y a de plus déprimant. Bâtiments, gris moches et sales. Boutiques des années 80. Quelques kebabs. Béton et macadam partout. Voitures garées partout. Le ciel gris n’aide pas.
La vie au calme
Après avoir salué notre équipier, on revient sur le port pour un solide petit dej anglais au renommé « Fishermen’s mission », une coopérative qui nourrit les marins mais sert aussi de lieu de rencontre pour toute la ville. La salle qui compte une vingtaine de tables, n’a pas de fenêtres, ni d’aération. Une dizaine d’hommes boivent leur café. Les murs bougent sous l’effet de notre mal de terre.
L’estomac calé, on se promène sur les quais animés. Un bateau décharge sa pêche déjà emballée et congelée. De nombreux ateliers de réparation mécanique. Une rue de la peinture avec 3-4 bateaux en train de se refaire une beauté.
On continue vers une belle plage de sable fin. Une centaine d’enfants jouent. Tout me rappelle la mini-série adolescence (Netflix).
Cinquième nuit
Après quatre heures d’arrêt, Papa Charlie repart vers l’ouest pour 80 MN à travers le Moray Firth. Papa Charlie longe des vallées vertes au travers à 6 noeuds. On goûte l’Ecosse. On fait la course avec un voilier danois rencontré à Fraserburgh. Pendant que mes acolytes se reposent en prévision de la nuit, je commence le terrifiant livre « La Route » de Cormac McCarthy (Prix Pulitzer 2007).
Le vent tombe. Après quelques slaloms entre des bancs de sable , Papa Charlie s’amarre vers 3h du matin à la Inverness Marina. Shooté à l’adrénaline, je ne ressentais pas la fatigue. Une fois amarré cependant, je m’écroule pour 7h de sommeil.
Au réveil, après une rapide douche, nous franchissons les deux premières écluses du canal calédonien. Une autre aventure commence …













[PRE-VENTE] Ma première transatlantique
Une transatlantique à 24 ans.
Deux mois en mer, un équipage haut en couleur.
Un récit drôle, humain et salé comme l’Atlantique.

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