Prendre l’avion s’est encore avérée une expérience chaotique et particulièrement désagréable. Après un arrêt sprinté à Amsterdam, on arrive à Stavanger et rejoignons le brave Julien qui a rempli le fond de cale de victuailles pour la traversée. Le bateau est amarré dans la petite marina de Børevigå, à quelques centaines de mètres du centre-ville de Stavanger et à côté du musée du pétrole. Ne cherchez pas de maître du port, il n’y en a pas. On paie via l’application GoMarina et on reçoit le code d’accès aux sanitaires.
La mission pour la semaine est simple, ramener notre oceanis 40 Papa Charlie de Norvège jusqu’en Zélande. Il y a 480 MN (=900 km) en ligne droite. Soit 4 jours de navigation si les cieux sont cléments. L’équipe est chevronnée. Philippe qui skippe régulièrement le bateau et est un marin de grande expérience. Julien & Thibaut qui sont des habitués. Ils ont notamment participé au convoyage inaugural épique/mythique en décembre entre le Crouesty et Nieuwpoort.
Après un petit briefing à bord, on se dégourdit les jambes dans Stavanger. Pas de bateau de croisière amarré aujourd’hui. La ville est calme pour un samedi après-midi. On est tous les quatre d’accord pour dire que Stavanger, 3ème ville de Norvège, est plus sympa que Bergen. Plus authentique et moins touristique. Après un apéro à bord, on mange des curry et butter chicken chez Zouq, mon restaurant pakistanais préféré de Norvège. A 21h tout le monde est au lit.
Réveil 7h en ce dimanche. On largue les amarres à 8h15 pendant que le Queen Mary II, bateau de croisière mythique de la compagnie Cunard, s’amarre au centre-ville. Jusqu’à midi, la légère brise venant du large n’est pas suffisante pour progresser à la voile. Elle bute contre le relief de la côte. On appelle cela l’effet coussin.
Les premières 36h sont très favorables. Le vent d’ouest varie entre 8 et 15 nœuds et Papa Charlie avance entre 5 et 8 nœuds. L’équipage s’impatiente de voir les plateformes pétrolières promises. On navigue pendant de longues heures sous gennaker au portant au soleil sur une mer plate. On affale cette grande voile de portant par précaution lorsque la nuit tombe. Menu du midi: pâtes brocoli chèvre gruyère. Menu du soir: wraps.
La première nuit est noire. La lune pleine et orangée disparaît très tôt et on avance dans l’obscurité totale. Nous passons enfin à côté d’une première plateforme. Elle ressemble à un sapin de Noël avec toutes ses lampes et sa torchère au sommet. A l’AIS, on peut voir quatre bateaux stationnés autour. Papa Charlie continue sa route rectiligne. Cap au 195° (sud-sud-ouest).
La journée du lundi est rythmée par le passage de grains. Les grains – nuages monstres – visibles à l’horizon s’approchent lentement avant de surgir subitement. Le vent monte de 10 à 20 nœuds et nous force à manœuvrer. On réduit la puissance de la grand-voile en lâchant le hâle bas et choquant l’écoute. Le génois est enroulé de quelques tours. Enfin on abat d’une vingtaine de degrés pour réduire le vent apparent. Les trois grains du jour nous arrosent mais passent facilement. A midi on mange poulet courgette quinoa. Le soir poulet courgette pâte pesto. Chaque fois avec du topping de gruyère.




Le vent s’écroule à la fin de cette deuxième journée et on passe la soirée et la nuit au moteur. Julien & Philippe font quelques tentatives d’avancer à la voile. Mais sans résultat autre que de réveiller le quart qui se repose.
A minuit, Thibaut et moi montons sur le pont. La lune est beaucoup plus haute que la nuit précédente. C’est un véritable spot qui réfléchit sur la mer. Vers deux heures du matin la lune disparaît, et les étoiles brillent d’autant plus par cette nuit sans nuages. Au loin, sur l’arrière bâbord, une torchère de gaz crée un halo rose.
Depuis le départ, nous avons effectué de nombreuses manœuvres à la voile (hisser, affaler, dérouler, enrouler), mais n’avons pas encore viré ou empanné de bord. C’est-à-dire que les voiles sont, et resteront jusqu’aux Pays-Bas, à bâbord. Le vent venant de tribord.
Au matin, le vent rentre du sud-ouest et on entame un long bord de près. La gîte use les organismes. Manger s’habiller se déplacer. Toutes ces choses anodines sont compliquées. A midi, je prépare un risotto saucisse petits pois lentilles. C’est étonnamment le premier repas que je prépare. L’équipage ayant bien assuré jusqu’ici. La journée suit son cours tranquille au rythme des variations de vents. Nous passons – enfin – près d’énormes et nombreuses plateformes gazières. Un hélicoptère se pose même sur l’une d’elles alors qu’on passe à côté.
La troisième nuit est éreintante. Un front chaud (?) arrive. On enchaîne les grains qui sont nettement plus violents que la veille. Ces immenses nuages déversent des torrents d’eau sur nous. Le vent passe de 5 à 30 nœuds en quelques secondes. De rien à tout. On réduit puis on renvoie de la voile toutes les trente minutes. La mer désordonnée nous fait danser avec elle. Sauter avec elle. Valdinguer dans tous les sens. Après trois plats à la sortie d’une vague, Philippe change la couchette avant pour la couchette stratégique et confortable à l’arrière tribord.
Je reste à la barre pendant trois bonnes heures. L’adrénaline m’empêche toute façon de dormir et tout mon corps est tendu. Crispé. Il y a beaucoup trop de lumières non identifiées à l’horizon. On devine de nouveaux grains dans la nuit noire car très nuageuses. Après le front, le vent “prend de la droite”, il tourne de SW à WNW (sud-ouest à ouest-nord-ouest). Le bateau se retrouve au portant est commencer à foncer. Cap au 180°.



Au matin. On est un peu groggy. Pas le temps de se déconcentrer. La côte hollandaise est toute proche. Elle est piégeuse à cause de son trafic et ses zones interdites. Vers 8h, au moment où je sors de ma couchette, ce sont quatre bateaux commerciaux qui passent derrière nous. Ils font route vers Ijmuiden (Amsterdam).
Avec le courant favorable, nous traçons à 9 nœuds entre Amsterdam et Rotterdam. Ce qui est surprenant ce sont encore et toujours des plateformes gazières. Cette énergie du passé contraste avec les milliers d’éoliennes construites et encore en développement.
Grâce à notre vitesse élevée, nous passons sans encombres les chenaux d’entrée du porte de Rotterdam. Des centaines de navires sont à l’ancre. Vides, ils attendent leur prochaine cargaison.
Après Rotterdam, il nous reste une vingtaine de milles jusqu’à l’écluse du Roompot puis l’Oosterschelde jusqu’à Wemeldinge. On se détend et grignotons sur l’heure de midi. Le plus dur est derrière nous, se dit-on. Le courant s’inverse, on passe de 9-10 nœuds à 6-7 nœuds. Le courant contre le courant fait lever la mer. Le chenal jusqu’à l’écluse est beaucoup plus étroit, long et piégeux que dans mes souvenirs. 10 MN à serpenter entre des bouées peu visibles. Au moindre écart, on s’échoue sur un banc de sable.
A 16h on arrive devant l’écluse. Problème, la marée est trop haute, et la hauteur libre en dessous du pont est insuffisante pour laisser passer notre mât (19 mètres au dessus de l’eau). Nous grignotons les restes du frigo. Fromage. Jambon. Chips. Petite Bière. Puis on nettoie le bateau. A 18h, l’éclusier (à distance), nous confirme qu’il y a assez de place pour passer sous le pont. Il reste encore 18 MN jusqu’à Wemeldinge, mais avec 1,5 nœuds de courant contraire. Au lieu de progresser à du 5-6 nœuds, on se traine à 3,5.
Des grains réapparaissent au loin. Je réfléchis tout haut à affaler la grand-voile haute, et continuer au moteur. Un magnifique nuage apparait sur notre arrière tribord. Thibaut et Julien vont au pied du mât pour affaler la GV quand une rafale à 35 nœuds arrive. Je leur crie de s’agripper. Trente-cinq nœuds. Papa Charlie se couche sur son flanc tribord. Thibaut se tient au mat et Julien aux filières bâbord. Philippe réagit ensuite en choquant la GV. La voile bat dans tous les sens pendant qu’on la descend en catastrophe.
Après le vent, la pluie et la grêle. Philippe se met au poste de barre pour guider le bateau au moteur pendant que des trombes s’abattent. Réfugié à l’intérieur, je m’équipe pour intervenir au cas où. En arrivant à haute de Colijnsplaat, alors qu’on croit le grain passé, la foudre suivi immédiatement d’un coup de tonnerre déchire le ciel. On ne fait pas les malins. Fort heureusement, cela passe sans dégâts. Deux heures plus tard, la nuit bien entamée, on arrive à bon port. On file en catimini car demain matin, c’est boulot !






