(publication du récit d’une navigation juin 2019)
Cette semaine, nous convoyons Urga – un Etap 39 – depuis la Belgique vers la Norvège. On a prévu 7 jours (avec de la marge) pour faire presque 500 milles nautiques (= 900 km). L’équipage consiste de 5 gaillard – Miguel Stijn Livio Louis et Saad.
Un faux contact dans le relais électrique pour les instruments de navigation occupe nos premières heures à bord de Urga en ce vendredi après-midi. Stijn prend le problème à bras le corps et en profite pour programmer l’AIS avec son ordinateur. Nous venions de recevoir les identifiants. L’électricien qui « n’avait pas le temps » de venir a du mal à croire que Stijn ait réussi à programmer l’AIS.

Samedi matin, après avoir par hasard découvert l’origine du faux contact, nous larguons les amarres à l’heure prévue – 11 heures. Les parents de Stijn sont là pour nous saluer. On commence par 6 heures de moteur, agrémentées par le passage de dauphins et un bon premier repas de pâtes. Tout le monde prend ses marques à bord et seul le vent manque. A hauteur du Thornton bank, nous coupons un peu trop une nouvelle zone d’éoliennes en construction et nous nous faisons arraisonner par un navire en charge de la surveillance de la zone. Heureusement ils sont sympas et nous obligent juste à faire un détour.
Vers 17h, Louis l’intrépide du bord, décide de faire une petite baignade. Nous commençons également à progresser à la voile avec un petit vent du sud de 2 beaufort. Notre premier apéro tous ensemble est majestueux. Le soleil est haut et nous sommes entourés de navires marchands en route vers Rotterdam.
La nuit est très courte – mois de juin oblige – mais intense. Le vent est capricieux car trop mollasson et mal orienté (plein vent arrière). Le traffic maritime à hauteur des ports de Rotterdam et Amsterdam est impressionnant. Des cargos s’entrecroisent dans tous les sens et nous nous sommes au milieu sur notre coque de noix. Les premières plateformes de gaz sont déjà visibles à peine au nord de Rotterdam.

Vingt-quatre heures après notre départ, nous avons effectué 125 MN sur les 460 MN qui nous séparent de Kristiansand. Cette première nuit m’a rassuré sur le sérieux et les capacités de l’équipage. Stijn est un second extrêmement fiable, il barre bien, comprend la lecture de carte et l’utilisation des instruments de nav. Saad, Livio et Louis se débrouillent plus ou moins bien à la barre mais surtout sont autonomes à bord.
Étant le plus résistant au mal de mer dans la cabine (et le meilleur cuisinier ? 🙂 ), je m’occupe de la préparation de tous les repas de la semaine. Au menu du soir, couscous à la belge.
La deuxième nuit, le spectacle est à nouveau grandiose. Au nord, le soleil refuse déjà de se coucher, tandis que son opposé la lune est pleine, brillante et bienveillante. Telle un phare dans notre dos, elle nous illumine le chemin à suivre. La Norvège se trouve à 240 MN au nord. Le ciel est dégagé, la mer s’agite, le vent souffle fort (25 noeuds) du sud. Urga danse sur les vagues comme un funambule. On empanne a hauteur de l’île de néerlandaise de Vlieland. Cap toujours vers le nord.
De l’intérieur de la cabine, on peine à réaliser l’agitation extérieure. Après avoir rangé toute la vaisselle brinquebalante dans les armoires, je dors enfin plus de 2 heures d’affilée pour la première fois depuis le départ. Livio m’apprend à réussir un rubik’s cube. Ce sera mon challenge jusqu’à la fin de la semaine.
Troisième journée de mer et le vent continue de souffler à 20-25 nœuds de SSW. Le ciel est bleu et la mer couverte d’embruns. Ce sont des conditions idéales pour naviguer. Urga progresse à 7-8 nœuds sous grand-voile haute et génois. Nous croisons nettement moins de plateformes ou de navires. Les côtes danoises à 80 MN dans l’est sont particulièrement inhospitalières et j’évite de m’en rapprocher plus.

Le pauvre Louis n’arrive pas à se débarrasser de son mal de mer. Il passe sa journée et sa nuit allongé à l’intérieur. C’est tout un cinéma quand il se lève et qu’on lui amène un peu à manger. Heureusement, Saad et Livio gèrent et arrivent à barrer Urga dans des conditions peu évidentes. Les vagues déferlantes arrivant par l’arrière, il faut sans cesse contrer la force de la vague contre le safran.
En deux jours (48 heures) depuis notre départ, nous avons parcouru 271 MN et ils nous en reste 189 MN jusqu’au sud de la Norvège. L’heure d’arrivée, initialement estimée à mercredi fin de journée, sera probablement dans la nuit (qui n’en est pas une) de mardi à mercredi.
J’ai rarement eu un équipage aussi compliqué au niveau alimentaire. L’un n’aime pas les champignons, l’autre les petits pois, le troisième les carottes ou les oignons. Bref, le cambusier a du boulot.
Le vent tombe vers 23h00. Le léger souffle qu’il reste permet d’évoluer à 4,5 noeuds sur la route direct. Louis enchaine les siestes, il a dormi 16 heures sur les 24 dernières heures.
A 4h30, lasse d’avancer à 3 noeuds dans la mauvaise direction pour faute de vent, nous allumons le moteur. Il reste 100 MN jusqu’à Kristiansand. A 10h, il ne nous reste plus que 57 MN jusqu’au mouillage pour ce soir. Le soleil est de plomb et la mer soudainement d’huile. On teste le drone de Stijn en navigation. Les images sont belles mais nous n’anticipons pas comment le récupérer. Des systèmes anti collisions l’empêche de se rapprocher du voilier. Tant bien que mal, j’arrive à l’attraper en vol sans me couper les doigts.
En fin d’après-midi, nous éteignons le moteur et continuons à la voile. Nous atterrissons dans un petit mouillage idyllique à 20 MN de Kristiansand. Je dois m’y reprendre 2 fois pour bien mettre le mouillage et frapper l’amarre à terre. Au moment de remonter l’ancre la première fois, le moteur cale. Panne sèche ? En hâte nous déversons les 20L du bidon de réserve dans le réservoir.
Nous allons tous à terre en annexe et spontanément on s’embrasse tous. On est fier de ce que nous venons d’accomplir. 460 MN depuis la Belgique sur la route direct avalés en 3 jours et 10 heures. On a négocié des passages délicats et navigué au grand largue pendant toute la traversée. Louis passe la nuit à terre à la belle étoile mais le regrettera. Des milliers de moustiques viennent le réveiller.

Mercredi, nous allons à Mandal, petite ville de 15.000 âmes qui a la particularité d’être la plus sud du pays. Comme souvent après une longue période en mer, on ne fait pas grand chose dans la ville. Fast food – café. La ville est toute proprette mais pas très fun. En plus il pleut.

Le lendemain on zigzague entre de nombreux îlots. Louis pêche une truite mais la rejette aussitôt à la mer. Stijn joue avec son drone. Livio explore la baie en annexe. On passe la nuit amarré à un ponton avant de rallier Kristiansand.

Un magnifique parc avec des beaux lacs surplombe la ville. On s’y baigne. La ville est en ébullition (pour des norvégiens c’est-à-dire un rien animée) et profite de ces journées d’été. Il y a un grand concert sur la place centrale. La star du soir est Wyclef Jean (ex- Fugees).

Livio continue son périple en stop vers Stavanger. On rejoint l’aéroport de Kristiansand en Tesla X. On annonce des perturbations à Oslo où nous devons prendre une correspondance. Notre vol vers la Belgique est annulé et nous passons la journée à Oslo au frais de la compagnie aérienne… j’aurai de la chance d’avoir une place tôt le lundi matin tandis que certains devront attendre le lundi soir pour rentrer chez eux.